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CHARENTE LIBRE du jeudi 11 novembre 2006
La banquière qui voulait faire l'andouille !

Article de Christelle Lasaires

"Et dire qu'elle avait une bonne situation!" Son père se lamente, Isabeau, elle, jubile. Elle vient d'entamer sa troisième vie. D'abord jeune étudiante baroudeuse, qui avait pris la route pour échapper à son éducation de bourgeoise dans une famille catho-provinciale de six enfants à Rouen, elle a ensuite fait carrière dans la haute finance internationale, pendant quinze ans, en Asie et à Paris.
Elle vient de tout lâcher pour devenir humoriste à 40 ans passés. Et pour l'ex-golden girl des marchés financiers, reconnaissable à cette légère intonation qui trahit ses origines d'aristo, ça marche plutôt pas mal à la capitale. Les bourges et les grands de la finance en prennent pour leur grade. En tournée en province, Isabeau de R - le reste de son nom est imprononçable - inaugure ce soir le tout premier festival de l'humour «Soyaux fou d'humour», créé par des passionnés du spectacle vivant en général et de l'humour en particulier.

Aristo, bourgeoise, provinciale, banquière, issue d'une famille de militaire, vous les cumulez...
Isabeau de R. : Comme vous dites. J'ai eu une éducation très stricte, mais je n'ai pas souffert, vous savez. Ce qui m'agace, c'est quand on me dit: «Vous êtes une vraie de... et pourtant, c'est marrant, vous avez beaucoup d'humour.» Comme si on ne pouvait pas être bourge et drôle. Il y a des cons partout.

Etes-vous encore une bourge aujourd'hui ou plus du tout ?
I de R. :très tard en petit tailleur avec mon ordinateur. J'étais la plus vieille, la plus bourge. Les autres me regardaient avec un air bizarre. Ce n'est pas bon d'être bourge. Alors, je le revendiquais d'emblée: «Moi, je suis bourge.» Comme ça, on me foutait la paix et on passait à autre chose.

Pourquoi avoir gardé votre intonation... de bourge ?
I de R. : Ce sont les autres qui me disent que j'ai un accent. Moi, je ne m'en rends pas compte. Mais je connais plein de gens autour de moi qui parlent comme ça. Ils sont complètement jetés et déjantés. Je me suis aperçue très vite que je faisais rire les gens avec mon accent. ça me permet de dire des horreurs et de surprendre là où on ne m'attend pas.

Vous commencez le spectacle par un strip-tease. ça n'a pas dû plaire à votre mère...
I de R. : La première fois que j'ai joué mon spectacle, c'était dans un petit théâtre à côté de Pigalle, dans une rue au milieu des bars à putes. Mes parents étaient déjà tout chamboulés de voir leur fille monter sur scène à cet âge canonique. Mais là, ils étaient consternés en débarquant de leur province. Moi j'étais tremblante. Je les ai installés au premier rang et j'ai prévenu ma mère: «Dites bien à papa qu'au début ça ne dure pas. ça s'arrête juste à temps.» Je n'avais qu'une trouille c'est que mon père se lève et hurle: «Rentre à la maison tout de suite.» Ce qui n'eut pas manqué de croustillant, mais bon...

Votre mère vous a félicitée. Vous croyez que c'est pour ne pas perdre la face ?
I de R. : Non, mes parents ont vraiment adoré. Ils m'ont amené des tonnes de copains. J'avais des dizaines de sexagénaires qui déboulaient en collier de perles et en manteaux de fourrure. Ces soirs-là, tout le monde dans le quartier savait que c'était moi qui jouais.

Pourquoi avoir voulu prendre vos distances avec votre éducation ? Un besoin de vengeance ?
I de R. : Pas du tout. Personne dans ma famille ne s'est senti visé. Je brosse des tableaux très représentatifs de la vie de tous les jours et en entreprise. J'entends les gens dans la salle dire: «On dirait Martine.» Tout le monde retrouve une standardiste, sa secrétaire, sa belle-sœur ou sa cousine... J'adore mes personnages Victoria, la workaholique, et Joséphine, l'hyper-bourge qui dit des horreurs. Sans doute parce que les deux me ressemblent.
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16.11.2006 © Charente Libre
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